Comme bouffée d’air, je viens de traverser Paris pour rencontrer les services des impôts. Je savais la tâche difficile. Ce n’est pas pour rien qu’une charte a été mise en place pour mesurer la satisfaction du public. Sur tous les courriers, nous pouvons noter le nom d’un « médiateur » qui peut, le cas échéant vous aider à résoudre un problème qui n’a pas été résolu (on se demande pourquoi…) après avoir rencontré ou traité avec un agent de service public.
Cette introduction faite, je pénètre dans l’entrée et suis ravie de m’apercevoir que les glaces qui nous séparaient de l’hôtesse d’accueil ont disparu. C’est un signe prometteur d’une meilleure relation avec les administrations. Je me retrouve cependant face à une personne démunie, à fleur de peau, prête à me sauter à la gorge (je comprends alors pourquoi les glaces !!) me demandant de retourner d’où je viens sans autre sommation. Il faut recevoir toute cette agressivité le matin à 9h00 après avoir tenté toute la nuit de solutionner son problème administratif pour comprendre que les grèves et la lutte pour le régime des retraites n’est pas un simple concept applicable en 2030. L’hôtesse au bord du burn-out m’annonce combien son travail est insupportable et se demande comment à 64 ans, elle va pouvoir tenir dans de telles conditions, en proie à un public qui se déplace pour régler les problèmes qu’ils rencontrent. « Vous n’avez qu’à téléphoner. Cela suffira ». Quel est mon problème ? Aucune importance. Ma motivation est déplacée, tel est son point de vue. N’écoutant que mon courage, moi qui ai 47 ans, je lui annonce que je comprends sa situation, et que je mesure d’autant mieux les enjeux qui sont les siens qu’il me reste encore 20 années de dur labeur pour atteindre une retraite à taux plein. Son visage s’est adouci. J’ai atteint un premier but : elle m’accueille.
Je dois reconnaître la gentillesse et le désarroi de cette personne qui doit faire face au mécontentement d’une population partagée entre des situations kafkaïennes et un système qui n’est plus maîtrisable par près de 70 % de la population.
Ayant eu la chance de rencontrer un autre interlocuteur, qui, par souci de compréhension m’explique le cheminement de ma déclaration électronique, afin que je comprenne les enjeux de l’impuissance qu’ils manifestent malgré eux, je comprends que le système broie les individus. « Nous ne pouvons que regarder les flux qui circulent mais n’avons aucune action efficace pour les modifier. ». Cette analyse et cette impuissance me ramènent à la visualisation (quel bel écart). Nous sommes proches du chaos. La France va mal. C’est un fait. Les gens se rebellent. Je les trouve courageux d’une telle énergie quand de mon coté, après avoir passé une matinée à passer les barrages des impôts, je rentre au bureau, n’ayant pas encore commencé ma journée et déjà épuisée. L’algorithme n’a aucune compassion. J’aurai dépensé plus d’énergie que le montant des pénalités.
J’ai pu cependant mesurer le niveau de stress, de violence et d’angoisse dans une population malmenée par des réformes dont elles ne comprennent ni les objectifs et dont personne actuellement n’en ressent ou projette quelques bénéfices que ce soit. Ces idées que l’on fait passer pour des priorités n’ont d’existence que dans des flux de paroles et de gesticulation qui n’ont aucune réalité dans la vie quotidienne et ne sont que source d’angoisse et d’obstacles en tous genres.
Cet exemple d’une administration des impôts, j’aurais pu la transposer aux incroyables visions que j’ai dans l’Université. Dans une société où l’on demande que les citoyens se modernisent, dégorgent les bureaux, laissent les employés travailler, le dysfonctionnement technique crée une panique partout où il survient. Comment alors concilier les erreurs et le progrès qu’il est supposé apporter ? Comment prendre en charge cette « médiation » ? Car à ce jour, hormis quelques bonnes volontés qui font office d’utopistes et de troubles fêtes, aucune solution n’est apportée. En tous les cas, je n’en vois aucune.
En observant cela, j’ai réalisé combien j’avais de la chance de ne pas travailler dans un tel système. J’aurais eu envie de les aider. A ma petite échelle, je me demandais quelle action je pourrais avoir pour faire changer les choses. Mes pensées sont là. Quelle peut être mon action ?