Lorsque je regarde les grèves étudiantes à Montréal, je réfléchis à la chance que j’ai eue de faire mes études en France. Incontestablement, l’Université n’est pas valorisée en France. Mieux vaut faire une grande école après avoir passé les barrières des classes préparatoires si l’on souhaite un jour faire partie de l’Intelligencia. L’Université dans ces conditions est souvent reléguée au prisme de la méconnaissance de son destin face à un monde économique impitoyable. Je pense que l’Université correspond à une époque, à une façon de se représenter le monde. Pour les générations qui nous ont précédées, aller à l’université était une marque d’élitisme assurée. De nos jours, nous y trouvons des bambins incapables de penser leur avenir (on ne peut pas le leur reprocher). Je pose souvent cette question en début de session et suis toujours très surprise du nombre d’étudiants qui sont là parce qu’il y avait de la lumière. Je m’en étonne mais je suis malhonnête car j’étais dans leur situation à leur âge. Que veux tu faire ? Quelle grâce m’aurait touchée pour que je sache à 17 ans ce que je veux faire des 40 prochaines années. Une intuition ? Certes, mais en France, il convient de savoir jeune ce que l’avenir nous réserve.
Maintenant que mon avenir est derrière et mon présent et mon futur bien plus proche et palpable, et que je suis au Québec pour un retour aux études (je sais maintenant ce que je veux faire, j’ai mis plus de 20 ans à le découvrir…), je m’aperçois que la France m’a offert, et m’offre encore aujourd’hui, une aide substantielle pour que je me perfectionne, je me forme et sois au top sur le marché de l’emploi. Quelle chance ! L’état m’a payé pour que je me forme. Mais en réalité, je ne l’entendais pas autrement… La société investit dans son capital humain pour gagner. Gagner de l’argent, gagner des marchés, gagner de la qualité de vie. C’est la juste part de la société à l’égard de ses concitoyens. Un luxe mais enfin, ce luxe me semble inévitable dans une société moderne qui a dépassé ses règles de survie.
Au Québec, il en va autrement. Dans un monde anglo-saxon où le prix des études détermine ton niveau de rémunération futur, le système des bourses et prêts laisse penser que la société fait sa juste part et l’étudiant doit s’endetter pour s’assurer un avenir. C’est une première marche de la société de consommation dans laquelle il a été formaté Puis, viendra le temps où il s’achètera une maison (à crédit), une voiture (à crédit), un yatch (à crédit), des vacances (souvent à crédit)… En écrivant ces mots, je me rends compte combien la société nord-américaine, pour ne parler que d’elle, s’est alliée les banques pour que ces groupuscules s’enrichissent sur la consommation des « consommateurs ». L’étudiant n’est alors qu’un consommateur de savoir, d’un certain savoir. Il paie pour recevoir un enseignement « de qualité » et il ne peut en être autrement sur ces deux points.
En tant que française, je ne peux donc être que surprise de voir toute une génération s’insurger contre la hausse des frais de scolarité. Je le dis en toute objectivité. Gavés au comportement à crédit, les jeunes en ont marre. La question que je me pose est celle de savoir s’ils accepteraient d’avoir un enseignement comme celui dispensé en France, sans moyens, sans locaux, sans assurances, en ayant des diplômes qui ne seraient pas reconnus ou « négociables » sur le marché du travail et qui ne leur assurerait pas un avenir meilleur. Prendraient-ils le risque d’un gratuité telle que celle ci ?..