Et si vous pouviez envoyer un message dans le futur ? Quelques mots que votre destinataire recevra … en 2067 ! Que diriez-vous ? Il est grand temps d’y réfléchir, car grâce au travail de David Guez , c’est désormais possible.
David Guez ? C’est l’un des pionniers de l’art numérique en France. Un artiste qui utilise le réseau pour créer des œuvres très réflexives sur nos sociétés à l’heure de la révolution numérique.
Après Albertine Meunier, c’est à son tour de nous raconter comment il perçoit l’art numérique, et envisage son travail de réflexion sur les nouvelles technologies.
Qui est David Guez ?
David Guez a suivi une double formation : des études d’informatique, et les beaux-arts. A ses débuts, il pratique la peinture et la sculpture. C’est au milieu des années 90, avec le débarquement d’Internet, que tout change : en fin connaisseur des nouvelles technos, l’artiste se laisse naturellement tenter par cette nouvelle matière de création.
Ses premiers travaux datent de 1996. Il réalise alors des installations à base d’images, des jeux de projection. Et progressivement, David Guez se lance dans une véritable exploration du réseau et de ses possibilités :
« On pouvait s’approprier le réseau, et faire participer les autres, partager … On a vu naître un formidable outil d’échange et de diffusion hors des médias classiques, un système de représentation totalement différent », se souvient l’artiste.
Il crée en 1997 sa première web télé, qui traite de sujets artistiques, et, un an plus tard, un portail sur lequel les internautes pouvaient déjà poster en ligne leurs vidéos. Nous sommes en 1998, et le site enregistre tout de même 2 000 inscriptions.
« Le Web ouvrait des possibilités incroyables. En peu de temps, de grands médias comme Le Monde et Télérama ont commencé à parler de moi, alors que je travaillais tout seul au milieu de ma cuisine. »
> Justement, comment travaille un artiste du Net, aujourd’hui ?
Niveau matériel, pas de grande surprise : David Guez a surtout besoin … d’un ordinateur. Et pour les réalisations plus complexes, il fait appel à des compétences extérieures, en électronique par exemple.
Il ne crée plus vraiment seul dans sa cuisine, mais travaille beaucoup en co-production avec des centres d’art, des institutions, pour lesquels il réalise des expositions, des objets, et des ateliers.
Et alors, peut-on vivre de son art ?
« Mon travail d’artiste est devenu mon activité principale. Il faut se lancer, se donner les moyens d’en vivre. J’ai des contrats avec des structures de production, je travaille avec des établissements culturels, je reçois parfois des subventions pour m’aider à réaliser des projets. Et je vends également certains des objets que je crée : c’est important, car un artiste ne vend pas de sites web, mais des objets, oui. »
>> Quelques-unes de ses œuvres …
David Guez puise son inspiration dans les grands thèmes de réflexion autour de la révolution numérique : les liens entre virtuel et réel, l’identité …
J’essaie de développer des projets très grand public, mais qui traitent en même temps de l’intime. Ça doit toucher et interroger le réel, pour que ça parle à tout le monde. Avec Internet, on peut justement toucher des millions de personnes, c’est le seul média qui permet une telle audience. »
Les derniers travaux de l’artiste se consacrent autour de deux idées majeures : la mémoire et le temps. Alors que tout le monde numérise, David Guez retourne ainsi au papier :
; Sans Internet, on n’a plus rien. Cela pose une vraie question sur la mémoire de la civilisation, à terme. Un CD Rom dure seulement dix ans. Et après ? Toutes ces données seront-elles un jour perdues ? »
En réponse à ces interrogations, à cette angoisse de voir la mémoire de l’homme disparaitre, David Guez a imaginé « Humanpedia », un projet qui vise à répartir entre tous les internautes volontaires un segment de Wikipédia. Chaque participant connaît la personne qui le précède, ainsi que celle qui le suit, afin de pouvoir un jour reconstituer cette chaîne de sauvegarde des données. Pour enregistrer l’ensemble des données disponibles sur l’encyclopédie en ligne, pas moins de 600.000 personnes sont nécessaires.
Autre exemple : le « disque dur papier (DDP’) », de grandes feuilles de papier sur lesquelles sont imprimées toutes les données d’un fichier informatique. Un de ces documents peut accueillir 48 mégas de données, imprimées en police Arial, en taille 0,5.
« L’idée, c’est aussi que ce travail est réversible. Si l’on scanne ces documents, ils peuvent redevenir des fichiers informatiques. »
Mais c’est la série « 2067 » qui interpelle sans doute le plus le public. On y découvre une plateforme de mail , et un téléphone , qui fonctionnent tous deux sur le même principe : envoyer un mail, ou enregistrer un message vocal, que le destinataire de son choix pourra recevoir, ou écouter, à partir de la date de réception choisi par l’envoyeur. Il s’agit bien sûr de cabines téléphoniques bien spécifiques, dont quelques exemplaires seront installés dans plusieurs endroits, à travers la France.
Sur le même thème, David Guez a également inventé une radio, dont il a remplacé la ligne de fréquence par une ligne temporelle. On ne choisit donc plus les stations que l’on souhaite écouter, mais l’année dont on veut retrouver les musiques les plus emblématiques. Surtout : son utilisateur peut créer lui-même ses playlists, et les insérer via une carte SD pour réaliser sa propre radio.
Des œuvres toujours très interactives, et dont aspect ludique et vivant dédramatisent un peu les questions de fond qu’elles soulèvent.
En 2012, David Guez exposera un autre de ces projets, à la Gaîté lyrique : une horloge à remonter le temps. Elle enregistre les sons de la pièce dans laquelle elle se trouve, de manière continue. Il suffit donc à son propriétaire d’en remonter les aiguilles pour se plonger dans le passé.
> Quelle place occupe l’art numérique, en France ?
« Les questions sur lesquelles je travaille sont des thèmes récurrents, dans l’art. On retrouve ces mêmes réflexions dans l’art contemporain. »
L’artiste numérique est bien un artiste à part entière. Mais est-il réellement reconnu comme tel ?
« Je pense que le numérique est reconnu comme une véritable discipline artistique. Mais il représente un monde à part, il a son propre circuit et n’est pas intégré au milieu de l’art contemporain. Mais l’évolution est en cours : les décisionnaires vont se renouveler, les étudiants qui sortent des écoles d’art commencent à intégrer le numérique dans leur travail, les premières galeries d’art numérique voient le jour … Tout cela va beaucoup changer. »
> Pour aller plus loin :
- Notre portrait d’Albertine Meunier, artiste du Net
- L’ensemble de nos articles dédiés à l’art numérique
- La visite de l’exposition consacrée à un autre artiste du net : Matt Pyke
- Notre rencontre avec Electronic Shadow, un duo d’artistes numériques
- La visite de la Gaîté lyrique, centre parisien des arts numériques
- Notre entretien avec Jérôme Delormas, directeur de la Gaîté lyrique
> Visuels utilisés dans ce billet :
- David Guez , photographié par Benjamin Boccas , Flickr, licence CC
- Visuels de ses travaux par David Guez
Article publié sur rslnmag.fr.